PLINE consacre le livre 35 de sa monumentale Historia Naturalis à
une "histoire de la peinture". Selon lui, "presque tous les
commentateurs s'accordent au moins sur un point, absolument
déterminant, : c'est que la peinture est née de ce qu'"on commença à
cerner le contour de l'ombre humaine". Voilà, très classiquement, le
dispositif princeps, le (la) geste inaugural(e) qui pose la peinture
non seulement dans son "origine", mais aussi , on va le voir, dans son
"essence" et qui sera repris comme fable instauratrice, à la fois dans
de très nombreux textes sur la peinture - et parfois avec des
varaiations singulières et intéressantes ( Quintilien, Plutarque,
Vasari, Alberti...) - mais aussi dans la peinture elle-même, au titre
de thème ou de motif iconographique (voir par exemple la toile de
Suvée, Uitvinding tekenkunst ou la gravure de David Allan, l'Origine de
la peinture).
Mais PLINE ne se contente pas de rappeler ce principe, d'ailleurs connu de tous, du dessin de l'ombre. Il va circonstancier cette origine, donner un corps à la fable. PLINE nous rapporte en effet l'histoire de la fille d'un potier de Sicyone, nommé Dibutades, amoureuse d'un jeune homme. Celui-ci doit un jour partir pour un long voyage. Lors de la scène d'adieu (on voit combien cette histoire est déjà d'emblée de l'ordre de la représentation, de la mise en scène, du récit, de la fiction), les deux amants sont dans une chambre éclairée par un feu (ou une lampe), qui projette donc sur le mur l'ombre des jeunes gens.
Afin de conjurer l'absence à vnir de son amant et de conserver une trace physique de son actuelle présence, dans cet instant charnière, tout tendu de désir et de peur, la jeune fille a l'idée de représenter sur le mur, avec du charbon, la silhouette de l'autre qui s'y projette: dans l'instant ultime et flamboyant, pour tuer le temps, fixer l'ombre de celui qui est encore là mais sera bientôt absent.
in "A l'origine de la peinture: la photo, la vidéo" par Philippe DUBOIS (Parachute n° 26/1982)